Il y a ces auteurs vers lesquels on se tourne instinctivement lorsque l’on cherche une lecture qui ne nous décevra pas. Leur style, leurs thématiques, leur maîtrise narrative sont si présents qu’ils deviennent une valeur sûre. Pour beaucoup, dont je fais partie, Shuzo Oshimi est l’un de ces auteurs réconforts. Il fait partie de ces mangakas dont je veux lire et posséder toutes les œuvres.
Récemment, Les Liens du Sang, publié chez Ki-oon et série la plus longue de l’auteur, s’est achevé. Et en refermant le dernier tome, une question m’a immédiatement traversé l’esprit : est-ce que je viens de lire l’œuvre la plus complète, la plus aboutie de Shuzo Oshimi ?
Une mère malaisante
L’histoire suit l’enfance de Seiichi, un adolescent tout ce qu’il y a de plus banal. Son père, accaparé par son travail, est peu présent, tandis que sa mère, femme au foyer, s’occupe entièrement de lui. Aimante, disponible et protectrice, elle semble incarner l’image même de la mère dévouée.
Mais tout bascule à la fin du premier tome.
Lors d’une randonnée en famille, Seiichi se retrouve seul avec son cousin, un garçon un peu taquin. Celui-ci, en jouant près d’une falaise, manque de tomber dans le vide. La mère de Seiichi le rattrape juste à temps. Tout semble sous contrôle… jusqu’à ce qu’elle prenne une décision effroyable : elle le pousse volontairement dans le vide.
Ce moment marque le point de rupture. Dès lors, le manga suit le traumatisme de Seiichi, pris au piège entre la manipulation maternelle et une pression psychologique suffocante.
Pas besoin de mots

Shuzo Oshimi a un style immédiatement reconnaissable. Son trait maîtrisé, ses planches où la réalité se mêle à la psyché des personnages, sa capacité à laisser parler son dessin : tout cela fait de lui un mangaka à part.
Les Liens du Sang se lit vite, et pourtant, chaque case est marquante. Sa mise en scène joue sur les regards, les silences, les gestes anodins qui deviennent oppressants. Certaines scènes sont d’une simplicité déconcertante, et pourtant, le malaise qu’elles dégagent est presque insoutenable.
Il est difficile de les décrire avec des mots, tant leur force réside dans l’intensité visuelle et émotionnelle. Et lorsque l’histoire évolue après une ellipse temporelle, on découvre encore un autre registre, un changement d’ambiance qui démontre toute l’étendue du talent de l’auteur.
Les traumas de l’enfance
J’ai toujours pensé que les grands auteurs sont hantés par des thématiques récurrentes. Shuzo Oshimi en est un parfait exemple.
On retrouve ici toutes les obsessions qui traversent son œuvre :
- Le poids des traumatismes de l’enfance, avec une mère brisée qui enferme son fils dans un enfer psychologique.
- La découverte de la sexualité, souvent explorée sous un prisme de malaise et de honte.
- Le passage du temps, thème central chez Oshimi, qui utilise régulièrement des ellipses pour montrer les séquelles laissées par les événements passés.
La seconde partie de Les Liens du Sang est magistrale. Sans entrer dans les détails pour éviter de gâcher la lecture, les derniers tomes atteignent un niveau de poésie, de justesse et de maturité impressionnant.
Alors… œuvre culte ?
Revenons à la question de départ. Vous l’aurez compris, Les Liens du Sang est une œuvre marquante. Dire que j’ai pris du plaisir à suivre cette série serait un euphémisme.
Pour moi, c’est la quintessence du style Oshimi : une œuvre intimiste, oppressante, viscérale, qui nous enferme dans la tête de Seiichi du début à la fin. Nous sommes liés à lui, prisonniers de cet amour toxique et étouffant.
Si je devais recommander un seul titre de Shuzo Oshimi, ce serait sans hésitation celui-ci. Il est, à mes yeux, son œuvre référence, celle qui restera sa plus grande réussite et vieillira sans doute le mieux.